2011-02-17

La lettre de François Baroin à Nicolas Sarkozy

J'ai fait un songe : François Baroin, ministre du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique et de la Réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement, écrivait cette lettre à Nicolas Sarkozy, président de la République :

"À Troyes, le 23 mars 2010

Monsieur le Président,

En sortant de votre bureau à l'Élysée, encore plein du trouble où me jette l’immensité du fardeau que vous m'imposez, agité par tous les sentiments qu’excite en moi la bonté touchante avec laquelle vous avez daigné me rassurer, je me hâte de mettre à vos pieds ma respectueuse reconnaissance et mon dévouement absolu.

Vous avez bien voulu m’autoriser à remettre sous vos yeux l’engagement que vous avez pris avec vous-même, de me soutenir dans l’exécution des plans d’économie qui sont en tout temps, et aujourd’hui plus que jamais, d’une nécessité indispensable.

J’aurais désiré pouvoir vous développer les réflexions que me suggère la position où se trouvent les finances ; le temps ne me le permet pas, et je me réserve de m’expliquer plus au long quand j’aurai pu prendre des connaissances plus exactes. Je me borne en ce moment, Monsieur le Président, à vous rappeler ces trois paroles :
  • Point de banqueroute ;
  • Point d’augmentation d’impôts ;
  • Point d’emprunts.
Point de banqueroute, ni avouée, ni masquée par des réductions forcées.

Point d’augmentation d’impôts, la raison en est dans la situation de votre peuple, et encore plus dans votre coeur.

Point d’emprunts, parce que tout emprunt diminue toujours le revenu libre ; il nécessite au bout de quelque temps ou la banqueroute, ou l’augmentation des impositions. II ne faut en temps de paix se permettre d’emprunter que pour liquider les dettes anciennes, ou pour rembourser d’autres emprunts faits à un taux plus onéreux.

Pour remplir ces trois points, il n’y a qu’un moyen. C’est de réduire la dépense au-dessous de la recette, et assez au-dessous pour pouvoir économiser chaque année une vingtaine de milliards, afin de rembourser les dettes anciennes. Sans cela, la crise forcerait l’État à la banqueroute.

On demande sur quoi retrancher ; et chaque ordonnateur, dans sa partie, soutiendra que presque toutes les dépenses particulières sont indispensables. Ils peuvent dire de fort bonnes raisons ; mais comme il n’y en a pas pour faire ce qui est impossible, il faut que toutes ces raisons cèdent à la nécessité absolue de l’économie.

Il est donc de nécessité absolue que la Présidence de la République exige des ordonnateurs de toutes les parties qu’ils se concertent avec le ministre du Budget. II est indispensable qu’il puisse discuter avec eux en présence de la Présidence de la République le degré de nécessité des dépenses proposées. II est surtout nécessaire que, lorsque vous aurez, Monsieur le Président, arrêté l’état des fonds de chaque ministère, vous défendiez à celui qui en est chargé, d’ordonner aucune dépense nouvelle sans avoir auparavant concerté avec le Budget les moyens d’y pourvoir. Sans cela, chaque ministère se chargerait de dettes qui seraient toujours des dettes de la République, et l’ordonnateur du Budget ne pourrait répondre de la balance entre la dépense et la recette.

Vous savez qu’un des plus grands obstacles à l’économie, est la multitude des demandes dont vous êtes continuellement assailli, et que la trop grande facilité de vos prédécesseurs à les accueillir, a malheureusement autorisées.

Il faut, Monsieur le Président, vous armer contre votre bonté de votre bonté même ; considérer d’où vous vient cet argent que vous pouvez distribuer aux bénéficiaires, et comparer la misère de ceux auxquels on est quelquefois obligé de l’arracher par les exécutions les plus rigoureuses, à la situation des personnes qui ont le plus de titres pour obtenir vos libéralités.

Il est des grâces auxquelles on a cru pouvoir se prêter plus aisément, parce qu’elles ne portent pas immédiatement sur le Trésor. De ce genre sont les intérêts, les frais, les privilèges ; elles sont de toutes les plus dangereuses et les plus abusives. Tout profit sur les impositions qui n’est pas absolument nécessaire pour leur perception, est une dette consacrée au soulagement des contribuables, ou aux besoins de l’État. D’ailleurs, ces participations aux profits des traitants sont une source de corruption pour les fonctionnaires, et de vexation pour le peuple, en donnant à tous les abus des protecteurs puissants et cachés.

On peut espérer de parvenir, par l’amélioration de la culture, par la suppression des abus dans la perception, et par une répartition plus équitable des impositions, à soulager sensiblement le peuple, sans diminuer beaucoup les revenus publics ; mais si l’économie n’a précédé, aucune réforme n’est possible, parce qu’il n’en est aucune qui n’entraîne le risque de quelque interruption dans la marche des recouvrements, et parce qu’on doit s’attendre aux embarras multipliés que feront naître les manoeuvres et les cris des hommes de toute espèce intéressés à soutenir les abus ; car il n’en est point dont quelqu’un ne vive.

Tant que Bercy sera continuellement aux expédients pour assurer les services, l'Etat sera toujours dans la dépendance des financiers, et ceux-ci seront toujours les maîtres de faire manquer, par des manoeuvres de place, les opérations les plus importantes. Il n’y aura aucune amélioration possible, ni dans les impositions, pour soulager les contribuables, ni dans aucuns arrangements relatifs au gouvernement intérieur et à la législation. L’autorité ne sera jamais tranquille, parce qu’elle ne sera jamais chérie ; et que les mécontentements et les inquiétudes des peuples sont toujours le moyen dont les intrigants et les malintentionnés se servent pour exciter des troubles. C’est donc surtout de l’économie que dépend la prospérité de votre mandat, le calme dans l’intérieur, la considération au dehors, le bonheur de la nation et le vôtre.

Je dois vous observer que j’entre en place dans une conjoncture fâcheuse, par les inquiétudes répandues sur les subsistances : inquiétudes fortifiées par la fermentation des esprits depuis quelques années, par la variation des principes des administrateurs, par quelques opérations imprudentes, et surtout par un PIB qui paraît avoir été médiocre. Sur cette matière, comme sur beaucoup d’autres, je ne vous demande point d’adopter mes principes, sans les avoir examinés et discutés, soit par vous-même, soit par des personnes de confiance en votre présence ; mais quand vous en aurez reconnu la justice et la nécessité, je vous supplie d’en maintenir l’exécution avec fermeté, sans vous laisser effrayer par des clameurs qu’il est absolument impossible d’éviter en cette matière, quelque système qu’on suive, quelque conduite qu’on tienne.

Voilà les points que vous avez bien voulu me permettre de vous rappeler. Vous n’oublierez pas qu’en recevant la place de ministre du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique et de la Réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement, j’ai senti tout le prix de la confiance dont vous m’honorez ; j’ai senti que vous me confiiez le bonheur de votre peuple, et, s’il m’est permis de le dire, le soin de faire aimer votre personne et votre autorité ; mais en même temps j’ai senti tout le danger auquel je m’exposais. J’ai prévu que je serais seul à combattre contre les abus de tout genre, contre les efforts de ceux qui gagnent à ces abus ; contre la foule des préjugés qui s’opposent à toute réforme, et qui sont un moyen si puissant dans les mains des gens intéressés à éterniser le désordre.

J’aurai à lutter même contre votre bonté naturelle, contre votre générosité et des personnes qui vous sont les plus chères. Je serai craint, haï même de la plus grande partie des bénéficiaires, de tout ce qui sollicite des grâces. On m’imputera tous les refus ; on me peindra comme un homme dur, parce que je vous aurai représenté que vous ne devez pas enrichir même ceux que vous aimez, aux dépens de la subsistance de votre peuple. Ce peuple auquel je me serai sacrifié est si aisé à tromper, que peut-être j’encourrai sa haine par les mesures mêmes que je prendrai pour le défendre contre la vexation. Je serai calomnié, et peut-être avec assez de vraisemblance pour m’ôter votre confiance.

Je ne regretterai point de perdre une place à laquelle je ne m’étais jamais attendu. Je suis prêt à vous la remettre dès que je ne pourrai plus espérer de vous être utile ; mais votre estime, la réputation d’intégrité, la bienveillance publique qui ont déterminé votre choix en ma faveur, me sont plus chères que la carrière, et je cours le risque de les perdre, même en ne méritant à mes yeux aucun reproche.

Vous vous souviendrez que c’est sur la foi de vos promesses que je me charge d’un fardeau peut-être au-dessus de mes forces, que c’est en vous personnellement, à l’homme honnête, à l’homme juste et bon, plutôt qu’au Président, que je place ma confiance.

J’ose vous répéter ici ce que vous avez bien voulu entendre et approuver. La bonté attendrissante avec laquelle vous avez daigné me serrer la main devant la presse, comme pour accepter mon dévouement, ne s’effacera jamais de mon souvenir. Elle soutiendra mon courage. Elle a pour jamais lié mon bonheur personnel avec les intérêts, la gloire et le bonheur de notre Président.

C’est avec ces sentiments que je suis avec le plus profond respect

Monsieur le Président

votre très humble et très obéissant serviteur.

Baroin"

Je m'éveillai en sursaut. Les brumes du sommeil se dissipèrent. Et je me souvins du billet que j'avais lu la veille sur le blog Singularité et Infosphère... Ce n'était donc qu'un songe.

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