2009-02-10

Défaut de coordination

L'économiste Patrick Artus, dans une récente note d'analyse, pose un problème fondamental et passionnant, celui du « défaut de coordination ». Mais il apporte une réponse qui méconnaît de manière étonnante les fondements élémentaires de l'économie de marché.

Il résume son point de vue de la manière suivante :

"Les agents économiques prennent, dans les périodes de crise, des décisions qui sont individuellement rationnelles, mais collectivement irrationnelles et dangereuses. Pour l’éviter, il faudrait coordonner les actions individuelles de ces agents économiques, d’où la dénomination de « défaut de coordination ».
Les ménages peuvent ainsi choisir d’épargner davantage, ce qui est individuellement rationnel, puisque protégeant contre le risque de perte de revenu dans le futur, mais collectivement irrationnel puisque la chute induite de la demande macroéconomique fait monter le chômage et provoque cette perte de revenu. Les entreprises peuvent décider d’arrêter d’investir pour conserver leurs liquidités et éviter des difficultés financières et des risques de trésorerie, ce qui est individuellement rationnel, mais aussi collectivement irrationnel en faisant chuter les carnets de commandes des entreprises en créant les difficultés financières.
Que peut faire la politique économique ? Puisqu’il est nécessaire de corriger les externalités négatives générées par ces comportements individuels, qui oublient leurs effets macroéconomiques, il faut mettre en place les incitations nécessaires. Dans les exemples donnés ci-dessus, décourager l’épargne (taux d’intérêt très bas), décourager les licenciements (malus en cas de licenciement d’entreprises profitables), encourager l’investissement productif (amortissement accéléré, déduction fiscales…). Il faut aussi lever les causes possibles des comportements de précaution individuelle, par exemple améliorer l’indemnisation du chômage, vérifier qu’il n’y a pas de contraction anormale du crédit bancaire."

Que penser de tout cela ?

A aucun moment, Artus n'évoque sérieusement le rôle fondamental des prix dans une économie libre. C'est pourtant un mécanisme naturel, non coercitif - et donc non liberticide - qui permet d'orienter et d'équilibrer les actions des individus d'une manière infiniment plus subtile et efficace que toute régulation publique, par nature fondée sur des informations à la fois parcellaires et périmées. Ce mécanisme a été parfaitement analysé par des économistes du 19ème siècle comme Bastiat et Molinari, puis par l'école autrichienne au 20ème siècle, particulièrement par Hayek.

Ses caractéristiques sont a priori les mêmes en période de crise et en période "normale" (si tant est que cette notion ait un sens). Et l'oubli de ce mécanisme risque peu de résoudre les problèmes causés par les crises car il passe totalement à côté des causes profondes de ces crises.

Les individus agissent en comparant le coût de leur action et les avantages que cette action leur apportera. Pour cela, ils se réfèrent notamment au prix des choses : le prix des ressources à utiliser, le prix de revente envisageable, etc. Toute action des individus, dans une économie libre fondée sur le respect des droits de propriété, tend à influer sur la rareté relative et le prix relatif d'un bien (une denrée, une ressource, un service, un espace, etc.). Si tout le monde se met à acheter en même temps du Coca Cola, la production ne pourra pas s'adapter instantanément, le prix de vente montera en flèche. Cela incitera le producteur de Coca à produire davantage pour tirer profit de cette aubaine, les concurrents à produire plus de produits similaires, et les acheteurs à modérer leur passion pour cette boisson. Progressivement, les actions des individus (production, investissement, consommation) s'adapteront à la nouvelle situation. La production augmentera, la concurrence se développera, la consommation se modérera. Et un prix plus "normal" reviendra. Pour cela, nul besoin de "politique économique corrigeant les déséquilibres des actions rationnelles individuellement mais irrationnelles collectivement". Pourquoi ? Parce sur ce marché, les droits de propriété et la liberté contractuelle sont à peu près respectés. Bien sûr, dans de nombreux cas, cet ajustement spontané, cette "autorégulation" tant honnie des étatistes, ne se produit pas. Mais ce n'est pas à cause de supposées "externalités négatives" ou "défaillances du marché" : c'est parce que le jeu naturel de ce rééquilibrage est bloqué, ralenti ou dévié par d'innombrables interférences étatiques (réglementations, fiscalité). Ces interférences sont généralement conçues soit pour avantager des groupes d'intérêt dans un jeu politique normal (cf. analyses de l'école du "Public Choice"), soit pour corriger de supposés déséquilibres du marché. Dans ce dernier cas, l'intervention publique qui prétend réguler ne fait que déséquilibrer et justifier ensuite de nouvelles régulations antilibérales, sans généralement que le lien entre la cause et la conséquence ne soit perçue (dans un mécanisme typiquement décrit par Bastiat comme "ce que l'on voit et ce que l'on ne voit pas"). Il faut bien voir que ce cercle vicieux ne peut avoir qu'une seule conséquence ultime, s'il n'est pas interrompu à un moment ou un autre : le socialisme généralisé, c'est à dire une situation ou la liberté des prix et des contrats a pratiquement disparu à force d'être limitée, encadrée, régulée.

L'argumentation d'Artus présente deux limites majeures. D'une part, il n'explique pas les causes fondamentales des comportements "déséquilibrants" : ces comportements ne sont-ils pas des réponses à des incitations déjà en place sous la forme des multiples réglementations et prélèvements obligatoires présents à tous les stades et à tous les niveaux des économies contemporaines ? D'autre part, il ne démontre à aucun moment que les incitations à mettre en place par les politiques publiques règleraient vraiment les déséquilibres sans causer de nouveaux effets pervers.

C'est ce qu'Hayek appellerait sans doute une forme de "présomption fatale".

YM, pour Libertas

A lire aussi : Pascal Salin : Le profit ne se partage pas (Les Echos, 10 février 2009)

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